Empreinte carbone. Vous avez très certainement déjà entendu parler de cette notion. Mais connaissez-vous son origine ?
Qu’est-ce que l’empreinte carbone ?
Telle que définie par le Global Footprint Network, l’empreinte carbone désigne la quantité de dioxyde de carbone (CO2) émise par une activité, un groupe, une organisation ou une personne, par sa consommation en énergie et en matières premières. Elle est généralement mesurée en tonnes de CO2.
Alors, dit comme ça, 1 tonne équivalent CO2 ça ne doit pas être très parlant. Pour pallier cela, je vous invite à vous pencher sur ce simulateur proposé par l’ADEME, offrant une perspective plus concrète sur cette mesure :
Mon convertisseur de CO2 : outil proposé par Datagir, service public porté par l’ADEME
La différence avec l’empreinte écologique
L’empreinte écologique va plus loin que l’empreinte carbone. En effet, l’empreinte écologique vise à répondre à une question simple : de combien de nature disposons nous, et combien en utilisons nous ? En cela, selon le Global Footprint Network, l’empreinte écologique mesure « la surface biologiquement productive nécessaire pour fournir tout ce que l’homme demande à la nature : fruits et légumes, viande, poisson, bois, coton et autres fibres, ainsi que l’absorption du dioxyde de carbone provenant de la combustion de combustibles fossiles et l’espace pour les bâtiments et les routes. »
En d’autres termes, l’empreinte carbone est incluse dans l’empreinte écologique. Une image valant mille mots, je vous renvoie à la vision schématique de ces deux notions que je vous ai préparée.

Calculer son empreinte carbone
Si vous souhaitez calculer votre impact individuel sur la planète, l’usage de l’empreinte écologique est préférable à celui de l’empreinte carbone. L’intérêt d’une telle mesure à titre individuel est de définir le nombre de planètes nécessaires à votre niveau de consommation. Sur le web, il existe différents outils qui proposent de calculer son empreinte carbone ou écologique individuelle. Si jamais ça vous intéresse, voici le lien du calculateur le plus populaire. Ce calculateur vous permet de savoir le nombre de planètes nécessaires à votre mode de vie.
Cependant, même si ce calculateur est très bon, je vous invite à aller en consulter un autre. En effet, il existe une alternative publique à la pléthore de calculateurs « privés » que vous pouvez trouver en ligne. C’est pourquoi je vous recommande de vous intéresser au calculateur Nos Gestes Climat proposé par l’ADEME (voir ci-dessous).
Ce simulateur me paraît intéressant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est issu d’une agence publique. Ensuite, il prend en compte l’ensemble des émissions de CO2 qui résultent de l’ensemble des services publics comme la santé, les routes, l’éducation, la justice, la défense, etc… Pour cette raison, ce poste d’émissions de CO2 est le même pour tous : 1,3 tonne de CO2. Enfin, cet outil est open source, ce qui assure une certaine transparence.
La sombre origine de l’empreinte carbone
Maintenant que le sujet est introduit, retournons à notre notion d’empreinte carbone (carbon footprint en anglais) qui circule tant dans les médias et nos sociétés contemporaines. Savez-vous que c’est BP qui a popularisé ce concept d’empreinte carbone individuelle ? Oui, vous avez bien lu, BP, la compagnie pétrolière britannique. C’est probablement l’une des campagnes de communication les plus réussie et trompeuse de l’histoire. Du moins, les conséquences sont encore visibles près de vingt ans plus tard.
En menant mes recherches pour vous présenter quelques exemples de campagnes publicitaires, j’ai rencontré quelques difficultés. Dans un article intitulé « Where has all the oil gone? BP branding and the discursive elimination of climate change risk » (comprenez « où est passé tout le pétrole ? L’image de marque de BP et l’élimination discursive du risque de changement climatique« ), la chercheuse en communication sur le climat Julie Doyle s’appuie sur de nombreuses campagnes menées par BP. A la fin de son article, elle référence de nombreuses campagnes qui étaient auparavant accessibles sur le site web du géant du pétrole britannique. Or, aujourd’hui, la plupart des liens fournis par la chercheuse ne semblent plus actifs :

Il semblerait que l’entreprise pétrolière a depuis fait le ménage sur le web. Mais j’ai tout de même réussi à mettre la main sur cette vidéo :
Dans cette campagne, British Petroleum, a engagé Ogilvy & Mather (cabinet spécialisé dans les relations publiques) afin promouvoir l’idée que le changement climatique n’est pas la faute du géant pétrolier, mais celle des individus.
C’est d’ailleurs suite à cette campagne que BP a popularisé le terme d’empreinte carbone. En 2004, La société a dévoilé son « calculateur d’empreinte carbone » afin que chacun puisse évaluer dans quelle mesure sa vie quotidienne (aller au travail, acheter de la nourriture, voyager…) est en grande partie responsable du réchauffement de la planète.
Cette sinistre campagne de communication menée par un grand groupe pétrolier est sans doute l’une des propagandes les plus efficaces continuant malheureusement de nous détourner sérieusement de la réalité. Cette campagne issue d’un géant de l’industrie fossile a ainsi planté une idée insidieuse qui a depuis germé dans l’imaginaire collectif : les émissions de GES des individus sont responsables du changement climatique.
Les calculateurs d’empreinte carbone : symptôme de l’individualisation du problème de la pollution
En proposant aux individus des calculateurs de leur empreinte carbone, la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre leur est imputée. Pour le dire autrement, ces simulateurs vous proposent d’agir à votre échelle afin de « réduire votre empreinte carbone ».
Ce faisant, c’est un changement de comportement des citoyens qui est attendu : ne prenez plus l’avion, devenez végétarien, éteignez vos appareils électroniques en veille, remplacez toutes vos ampoules par des LED, etc…
D’ailleurs, cette volonté de modifier les comportements des individus est parfaitement visible lorsque l’on utilise ces simulateurs. Pour preuve cette capture d’écran vous offrant les résultats de ma simulation :

Une fois sur cette page des résultats, on ne peut pas manquer ce gros bouton mauve : « PASSER A L’ACTION ». En cliquant dessus, le simulateur vous propose une multitude d’actions qui vous permettront d’améliorer votre bilan carbone :

Parce que c’est de cela dont il est question ici : changer ses habitudes pour sauver la planète.
Les limites de cette individualisation
Le monde entier a récemment vécu une expérimentation grandeur nature consistant à limiter au maximum nos déplacements et ainsi nos émissions de CO2 : le confinement. Pour autant, d’après cette étude, nous n’avons réduit les émissions de CO2 que de 7 % en 2020.
Ainsi, lorsque l’on considère l’ampleur du problème, demander aux personnes comme vous et moi de résoudre le problème du changement climatique est un non sens. Les contributions personnelles à la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont certes appréciables, mais leur importance est toute relative si l’on considère l’ensemble des émissions mondiales.
Si l’on s’en tient aux chiffres, il y en a un qui m’a particulièrement marqué. D’ailleurs c’est ce chiffre qui m’a donné l’idée de rédiger cet article :
Si un individu éliminait 100% de ses émissions de CO2 pour le reste de sa vie, il éviterait l’équivalent d’une SECONDE d’émission provenant du secteur de l’énergie.*
*Ce chiffre, a été calculé pour un citoyen américain qui émet en moyenne 14,24 tonnes de CO2 par an en 2020 d’après Our World In Data.
Appliquons ce calcul à un Français :
D’après Our World In Data, la moyenne française des émissions de CO2 par habitant était de 4,24 tonnes en 2020. Cela représenterait alors 347,68 tonnes sur la durée d’une vie de 82,1 ans, sur la base de l’espérance de vie à la naissance des français fournie par l’INSEE.
Pendant ce temps, le secteur mondial de l’énergie libère 73,2 % de toutes les émissions mondiales à effet de serre, soit 36 milliards de tonnes de CO2 par an. Cela représente 98,63 millions de tonnes par jour, 4,11 millions de tonnes par heure ou 1141 tonnes par seconde.
En bref, si le citoyen français moyen consacrait sa vie entière à effacer sa propre empreinte carbone, il compenserait environ 0,30 seconde d’émissions du secteur de l’énergie.
Pour autant, loin de moi l’idée de vous pousser à l’inaction individuelle. Même si, dans cet article, je suis critique à l’égard de cette démarche, chaque geste compte ! Mais je trouve qu’il est essentiel que chacun ait ces ordres de grandeur en tête.
Que retenir de cet article ?
Pour ceux qui n’ont pas pris le temps de tout lire, voici les points essentiels à retenir de cet article :
- L’empreinte carbone dont tout le monde parle aujourd’hui a été popularisée par le géant pétrolier BP dans les années 2000
- Aujourd’hui « l’empreinte carbone individuelle » est utilisée pour instiller l’idée que la pollution est de votre faute, pas celle des industriels. Ce qui est à mon sens problématique pour le débat politique.
- Il est ainsi fréquent pour les décideurs et les industriels d’user de cette stratégie visant à culpabiliser les individus
- Si l’on remet en perspective les données disponibles, un citoyen français consacrant sa vie entière à effacer sa propre empreinte carbone, il compenserait environ 0,30 seconde du secteur de l’énergie
- Malgré ces chiffres, il est nécessaire de continuer à limiter son impact individuel sur l’environnement.
Pour aller plus loin, mes sources :
- Doyle, Julie. (2011). Where has all the oil gone? BP branding and the discursive elimination of climate change risk.
- Friedlingstein, P., et al.: Global Carbon Budget 2020, Earth Syst. Sci. Data, 12, 3269–3340, https://doi.org/10.5194/essd-12-3269-2020, 2020.
- Footprint Network : FAQ
- INSEE : Espérance de vie à divers âges
- Kurzgesagt – In a Nutshell : Can YOU fix Climate Change
- Mark KAUFMAN : The carbon footprint sham
- Our World in Data : emissions per capita
- Our World in Data : emissions per sector