271, c’est le nombre d’occurrences du mot « énergie » dans les 460 pages du rapport final de la Convention Citoyenne pour le Climat rendu en janvier 2021. Dans ce document, l’énergie est ainsi centrale, figurant dans tous les volets : recommandations sur l’habitat, les transports ou l’alimentation, tout comme dans les mesures relatives à la production et à la consommation.
Dans nos sociétés contemporaines, l’énergie est partout. Entre 1950 et 2019, la consommation d’énergie primaire a été multipliée par 5 à l’échelle du globe, alors que la population mondiale a été multipliée par 3 ! La démographie combinée à la consommation débridée amènent à la question de la durabilité. Or, est-il utile de préciser que nous visons dans un monde aux ressources finies ? Cette information est connue de tous depuis le rapport Meadows de 1972. La question reste pourtant légitime à la vue des politiques climaticides menées depuis cinquante ans.
Le changement climatique est d’origine anthropique. C’est un fait établit par le rapport publié par le Giec en août 2021. C’est une des raisons qui pousse d’ailleurs certains chercheurs à parler d’Anthropocène. Le monde dans lequel nous vivons est fondé sur une consommation d’énergie débridée qui est étroitement corrélée à la croissance économique. En somme, notre appétit énergétique croissant est problématique pour le climat.
Définir l’énergie
Pour Jean-Marc Jancovici l’énergie est un flux qui quantifie le changement d’état d’un système : changement de vitesse, de température, de forme, etc… Cette définition physique de l’énergie est proposée dans l’excellente BD qu’il a réalisée avec Christophe Blain (que je vous recommande en passant).
Pourtant, si l’on considère le prisme gestionnaire d’un acteur politique, l’énergie s’apparente plus à une ressource dont il convient de maîtriser la production, le transport, voire la consommation.
Définir la transition énergétique
Selon Olivier Labuissière – chercheur en écologie politique et en énergie au CNRS – la transition énergétique vise à
Ces deux évènements sus-cités appellent à des décisions politiques (au sens d’« art de déterminer les choix collectifs ») davantage que des prouesses technologiques. Pour cette raison, il est intéressant de se pencher sur une définition issue de la science-politique de la transition énergétique :
S’appuyant sur des travaux de science politique, cet article s’intéresse à la façon dont les pouvoirs publics français se saisissent de la transition énergétique.
La transition énergétique tiraillée entre logiques de centralisation et décentralisation
Pour rédiger cette partie, je m’appuie principalement sur deux travaux : |
1) La contribution de Christophe Defeuilley dans le livre Villes Sobres intitulée « Transition énergétique : les trajectoires du changement » | 2) L’article « La transition énergétique, un nouveau laboratoire de l’action publique locale ? » rédigé par François-Mathieu Poupeau et Benoît Boutaud |
Ce n’est pas la première transition énergétique que connaît l’humanité. Celle que nous sommes en train de vivre est simplement différente dans ses objectifs. On parle beaucoup d’énergies renouvelables (EnR) aujourd’hui. Or, il y a trois cent ans, toutes les énergies étaient renouvelables : moulins à vent, moulins à eau, voiles pour les transports maritimes, utilisation des bêtes dans les champs, etc…
Depuis la révolution industrielle, l’énergie avait pour fonction d’accompagner et d’alimenter la croissance économique. Aujourd’hui, elle se doit de servir un tout autre dessein : passer à une économie décarbonée qui a pour objectif d’atténuer le changement climatique.
La transition énergétique constitue un enjeu politique de premier plan dans nos sociétés actuelles. Dans sa contribution, Defeuilley a pour ambition de comprendre les impacts que pourraient avoir la transition énergétique sur le modèle d’organisation du secteur électrique.
Une construction autour d’un modèle centralisé
La construction et le développement du secteur électrique autour d’un modèle centralisé et standardisé avait pour principal objectif de fournir une électricité bon marché à une demande en croissance.
A partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette centralisation enclenche un cercle vertueux dans l’ensemble des pays développés. On observe une baisse des prix, accompagnée par une augmentation de la demande ce qui permet un développement très important du secteur électrique. Or, l’électricité n’est pas synonyme d’énergie décarbonée. En effet, pendant cette période, l’électricité est très souvent issue d’énergies fossiles comme le pétrole, le charbon ou encore le gaz qui émettent de grandes quantités de GES.
Une légère décentralisation du secteur électrique
Dans les années 1990, des politiques de libéralisation sont engagées et touchent au monopole des compagnies d’électricité. Cette première transformation de l’action publique introduit la compétition dans la production et dans la fourniture de l’électricité aux clients finaux. Cependant, pour Defeuilley on n’observe pas de transformation systémique notable.
La lutte contre le changement climatique par les politiques énergétiques
Le contexte actuel guide l’action publique dans la lutte contre le changement climatique. Pour cela, dans le secteur électrique, les gouvernements tentent par leurs politiques publiques :
- D’une part, de favoriser l’essor des énergies renouvelables (EnR) notamment par le biais d’incitations économiques. Ces politiques permettent aux EnR de gagner une part de plus en plus importante dans le mix énergétique.
- D’autre part, l’action publique tente de réduire la consommation d’électricité en favorisant notamment les efforts d’efficacité énergétique par le biais de différentes mesures : certificats d’économies d’énergie, standards appliqués aux équipements consommateurs d’électricité, étiquetage et information, aides à la rénovation thermique des bâtiments, réglementation thermique pour les constructions neuves.
Trois trajectoires de changement du système électrique
Cette transition énergétique que l’on commence à saisir, aura un impact sur le modèle actuel d’organisation du secteur électrique. Pour Defeuilley, trois trajectoires de changement peuvent être envisagées :
Une « désoptimisation transitoire » | Des « modification incrémentales et une hybridation » | Un « changement de paradigme » |
Un retour dans un modèle de production d’électricité centralisé | Le modèle actuel hybride entre production nationale et locale se stabilise | Une transformation totale du système de production électrique avec une décentralisation totale de la production. |
En somme, la question entre centralisation et décentralisation de l’action publique énergétique reste ouverte.
La transition énergétique du national au local
Poupeau et Boutaud s’intéressent à la manière dont les collectivités territoriales se sont saisies de la transition énergétique. Dans leur article, ils reviennent sur deux points importants :
- Si le domaine de l’énergie a d’abord été investi principalement par l’État, petit à petit, les compétences des collectivités territoriales en la matière se sont renforcées.
- La transition énergétique peut être considérée comme une « sorte de laboratoire de l’action publique locale ».
La montée en puissance des collectivités territoriales
Le domaine de l’énergie a longtemps été considéré comme régalien. L’implication des collectivités territoriales dans ce domaine est assez récente. Toutefois, il convient de relativiser ce propos. L’implication des collectivités territoriales à ce sujet remonte au XIXème siècle. Mais elles prennent plus d’importance avec le tournant des années 1980 (et les lois dites de décentralisation).
Pour Poupeau et Boutaud, il est question d’une « lente montée en compétence ». Effectivement, au XIXème siècle, les municipalités occupent un rôle dans le développement de l’éclairage public et des réseaux de gaz et d’électricité. Les communes sont les autorités organisatrices des réseaux de distribution publique d’énergie. Elles peuvent choisir leur délégataire de service public et négocier avec lui les conditions de fourniture de l’énergie sur leur territoire. Mais leur rôle s’arrête là. C’est véritablement avec les crises énergétiques des années 1970 et 1980 que les actions des collectivités territoriales vont prendre un autre tournant : la maîtrise de l’énergie. La sobriété devient le leitmotiv de l’action publique locale et nationale.
Exemple d’un programme consacré à la rénovation énergétique des bâtiments publics : Doté de 100 millions d’euros, le programme Actee (Action des collectivités territoriales pour l’efficacité énergétique) est lancé en 2019 par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
Enfin, avec les décennies 1990-2010, les compétences des collectivités territoriales sont étendues à l’image de la mise à l’agenda politique des questions environnementales (pollution de l’air) et du changement climatique (réduction des émissions de gaz à effet de serre).
Exemple des PCAET (Plans climat air énergie territorial) obligatoires depuis 2017 pour les Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants.
En somme, la montée en compétences des collectivités territoriales au sujet de l’énergie se fait en parallèle des phénomènes de décentralisation et de l’élargissement du périmètre d’intervention des collectivités territoriales. À ce titre, on voit bien que la transition énergétique est un enjeu politique majeur. L’État se décharge en un sens de ces politiques publiques pour inciter les régions, départements, intercommunalités et communes à agir dans le domaine de l’énergie (voir le tableau ci-dessous). Toutefois, il est important de nuancer le propos. Pour Poupeau et Boutaud, « la contribution financière des collectivités reste faible au regard d’autres acteurs (État, entreprises) et rapportée aux besoins globaux ».
La transition énergétique comme « laboratoire de l’action publique locale »
Les travaux de Poupeau et de Boutaud montrent que la transition énergétique constitue « de nouveaux enjeux pour l’action publique ». Ces derniers parlent d’ailleurs de « gouvernance territoriale de l’énergie ».
L’action publique énergétique source de divisions
En effet, les problématiques environnementales et climatiques ont poussé l’action publique nationale et locale à repenser ses contours. Toutefois, l’intégration des collectivités territoriales dans le secteur de l’énergie doit être relativisée. En effet, il existe un un débat entre :
- les « pro remunicipalisation » qui critiquent la centralisation de la gestion de ces infrastructures
- et les « pro centralisation » qui entendent conserver ce modèle national pour des raisons d’économies d’échelles et de principe de péréquation géographique des tarifs.
En cela, on voit bien que le domaine de l’énergie divise plus qu’il ne fédère.
L’énergie victime du millefeuille administratif
De surcroît, si les lois de décentralisation et l’élargissement des compétences des collectivités territoriales ont permis à ces dernières de s’investir dans de nombreux domaines, il n’en reste pas moins que le domaine de l’énergie comme d’autres pans de l’action publique reste fragmenté. C’est l’effet du millefeuille administratif.
L’exemple typique est celui de la planification énergie-climat. Pour Poupeau et Boutaud, cette compétence est le fait de « trois grands niveaux » :
L’Etat | Les Régions | Les EPCI |
A travers l’élaboration de la SNBC (Stratégie Nationale Bas-Carbone) et de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) | Avec les SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) | Avec l’élaboration des PCAET (mentionnés plus haut dans l’article) |
En somme, ces différentes actions sont parfois disjointes, se superposent, ce qui a pour effet de se montrer parfois peu cohérentes.
Le mot de la fin
Le changement climatique a renforcé la prise de conscience de la nécessité d’initier une transition énergétique. En cela, la transition énergétique est désormais un enjeu politique incontournable investi par tous les niveaux d’action publique.
La progressive prise de conscience du poids de la production et de la consommation énergétique sur notre environnement rend évidente la nécessaire décarbonation de ce secteur par les pouvoirs publics.
Pour autant, si les phénomènes de décentralisation ont permis aux collectivités territoriales d’intervenir à ce sujet, on constate que les différents niveaux d’action publique ont du mal à se coordonner pour permettre l’émergence d’une politique énergétique cohérente.
Pour aller plus loin, mes sources :
- Blain Christophe, Jancovici Jean-Marc, « Le monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique », Paris, Dargaud, 2021, 196 p.
- Convention citoyenne pour le climat, « Les propositions de la convention citoyenne pour le climat », Rapport, Paris, Conseil économique, social et environnemental, 2021.
- Defeuilley Christophe, « Chapitre 3. Transition énergétique. Les trajectoires du changement », Dominique Lorrain éd., Villes sobres. Nouveaux modèles de gestion des ressources. Presses de Sciences Po, 2018, pp. 93-110.
- Garcier Romain. « Le contre-exemple du local en matière énergétique », Natures Sciences Sociétés, vol. 29, no. 1, 2021, pp. 1-2.
- Labussière Olivier, « Transition énergétique », Groupe Cynorhodon (coord.), Dictionnaire critique de l’anthropocène, Paris, CNRS éd., 2020, p. 783.
- IPCC, « Climate Change 2021 The Physical Science Basis Summary for policymakers », 2021, p. 28.
- Poupeau François-Mathieu, Boutaud Benoît, « La transition énergétique, un nouveau laboratoire de l’action publique locale ? », Pouvoirs Locaux : les cahiers de la décentralisation, I (119), 2021, pp.28-36.
- Rumpala Yannick. « La “consommation durable” comme nouvelle phase d’une gouvernementalisation de la consommation », Revue française de science politique, vol. 59, 2009, pp. 967-996.
Remerciements
Je tiens à remercier Noémie et Meghan qui ont contribué aux recherches et à la rédaction de cet article.